Une mini-séance Cinéphilo “Imaginer pour mieux vouloir” avec Gaston Bachelard, Long Way Home et Les Ailes du Désir….
Gaston Bachelard, auteur du merveilleux L’Eau et les rêves, habitait place Maubert, sur le boulevard Saint-Germain, une artère particulièrement bruyante. Il raconte qu’une nuit, empêché de dormir par le bruit constant de la circulation, il se mit à imaginer que le bruit des voitures était celui des vagues. Bercé par cette bienveillante rumeur, il s’endormit heureux, et put glisser sans effort dans les profondeurs du sommeil.
Qui veut se débarrasser de ses soucis pourra imaginer qu’il les balaye. « Mais ne restez pas sous l’empire des mots, précise Bachelard, vivez les gestes, voyez les images, poursuivez la vie de l’image. Il faudra donc donner à l’imagination “la conduite du balai”. Qu’avez- vous à balayer ? Sont-ce des soucis ou des scrupules ? Dans les deux cas vous ne donnerez pas tout à fait le même coup de balai. De l’un à l’autre, vous sentez en action la dialectique de la minutie et de la décision. [S’il s’agit d’un chagrin d’amour,] alors travaillez d’un geste lent, prenez conscience du rêve fini. Bientôt vous allez respirer, la tâche finie, l’âme recueillie, tranquille, un peu claire, un peu vide, un peu libre. Cette petite, toute petite psychanalyse imagée délègue aux images la tâche du terrible psychanalyste. Que “chacun balaie devant son aire” et nous n’aurons plus besoin d’une aide indiscrète. Les images anonymes ont ici la charge de nous guérir de nos images personnelles. L’image guérit l’image, la rêverie guérit le souvenir ! » Attention, le geste, prévient Bachelard, pour ne pas être une vaine simagrée, ne doit pas être feint, mais imaginé sincérement, vécu de manière immédiate. Balayer ses soucis ne fonctionne que pour qui s’y essaie sans distance ni ironie.
Passons maintenant à un exercice d’ascension imaginaire. Imaginez-vous en train de monter tranquillement un chemin en pente douce, chemin bien uni. Portez votre regard vers les cimes, les arbres, les oiseaux. Abandonnez-vous au rythme de la marche. « L’invitation au voyage aérien, si elle a, comme il convient, le sens de la montée, est toujours solidaire de l’impression d’une légère ascension. » « Pas besoin d’ailes pour voler, confirme Philippe Petit. Les gens qui n’ont pas d’ailes peuvent voler en regardant vers le haut. » Si vous sentez que vous ne parvenez plus à monter, que vous coincez, tentez une rotation imaginaire, un tour sur vous-même. Reprenez ensuite votre ascension jusqu’à décoller progressivement du sol. Une ascension imaginaire réussie doit s’achever en vol, ce qui vous permettra d’éprouver tous les bénéfices de la vie imaginaire aérienne : « Les lourds soucis sont oubliés, mieux, ils sont remplacés par une sorte d’état espérant. » Après chaque exercice de vol imaginaire, il faut se ménager une descente qui doit, « sans trouble, sans vertige, sans drame, sans chute, remettre le rêveur sur la terre. Cet atterrissage doit replacer l’être-volant sur un plan un peu plus élevé que le plan de départ, de façon que le rêveur garde longtemps l’impression qu’il n’est pas tout à fait “descendu ”, qu’il continue de vivre dans la vie commune sur les hauteurs du vol aérien. »
Bien imaginer, bien conduire sa rêverie est un art, qui se peaufine jour après jour, nuit après nuit. Attention : « N’imagine pas qui veut. Il ne s’agit pas d’imaginer n’importe quoi. L’on ne peut être heureux avec une imagination divisée. Un principe de calme doit venir auréoler toutes les passions, même les passions de la force. » Voulez-vous être calme ? Bachelard vous offre une recette infaillible dans Poétique de la rêverie : « Respirez doucement devant la flamme légère qui fait posément son travail de lumière. » Et si vous n’avez pas de chandelle, respirez en fermant les yeux devant une flamme imaginaire. Bref, rêveries du feu, de l’air, de l’eau ou de la terre, vous l’avez compris : l’imagination ne doit pas être subie, mais choisie, harmonieuse, unifiée. C’est à cette condition que la facilité ne sera plus simplement rêvée, mais vécue.
Ce texte est extrait du livre Facile.
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