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L’épidémie du déshonneur

6 avril 2020
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Posté par Ollivier Pourriol

L’épidémie du déshonneur

 

Jean-Jacques Rousseau qui, en adepte de la promenade solitaire, peut dans ce domaine aussi faire figure de précurseur, raconte, à la fin du Contrat social, comment les Spartiates usaient du simple pouvoir des mots et de l’opinion publique pour régler les mœurs sans avoir à recourir à la menace ni aux lois : « Un homme de mauvaises mœurs ayant ouvert un bon avis dans le conseil de Sparte, les éphores, sans en tenir compte, firent proposer le même avis par un citoyen vertueux. Quel honneur pour l’un, quelle note pour l’autre, sans avoir donné ni louange ni blâme à aucun des deux ! » Les éphores – on dirait aujourd’hui commission scientifique, conseil d’État ou comité d’éthique – connaissaient le prix qu’un homme accorde à sa réputation (d’où la crainte de la « note », toujours mauvaise) et savaient pouvoir compter sur le ressort de l’honneur pour assurer l’harmonie sociale. Rousseau rapporte une autre anecdote, du même tonneau : « Certains ivrognes de Samos souillèrent le tribunal des éphores : le lendemain, par édit public, il fut permis aux Samiens d’être des vilains. Un vrai châtiment eût été moins sévère qu’une pareille impunité. Quand Sparte a prononcé sur ce qui est ou n’est pas honnête, la Grèce n’appelle pas de ses jugements. »

Ce ressort, regrette Rousseau, étant « entièrement perdu chez les modernes » (ça ne date donc pas d’hier), il convient de décrire son fonctionnement d’un peu plus près. On parle d’un monde disparu, où les contraventions étaient inutiles, où le refus même de châtier constituait le pire des châtiments. Décréter l’impunité d’un délinquant, c’était le faire sortir de la société des hommes, considérer qu’il n’avait pas l’étoffe d’un citoyen, le frapper d’indignité publique. Pour vous donner un équivalent, nul, aujourd’hui, n’aurait l’idée de réclamer d’un animal le respect des lois ou le sens civique : des canards se promenaient le week-end dernier en plein Paris sans s’attirer les foudres de la police, de BFM ou de France Info.

Quand le ministre de l’Intérieur, qui n’a jamais été si bien nommé, regrette ce lundi matin à la radio des comportements « idiots », il ne vise ni les chiens, qui sont les derniers à arpenter librement les rues françaises, ni les enfants que leurs parents auraient la malencontreuse idée – selon lui – de faire sortir prendre l’air, mais les adultes en âge d’être tancés car doués d’une conscience civile et, hypothétiquement, du sens des responsabilités. Quand le préfet de police de Paris jugeait « stupides », vendredi dernier, ses concitoyens qui auraient eu la mauvaise idée de quitter Paris à la date initialement prévue pour le départ des vacances, il visait lui aussi les adultes en capacité de ne pas être stupides, justement, puisque censés libres de leurs actes. Il allait même jusqu’à établir une « corrélation simple » entre non-respect du confinement et admission en réanimation, faisant de tout malade grave une victime de sa propre stupidité. Après des excuses aussi plates que désinvoltes, le préfet, sévère avec tous sauf lui-même, a été jugé par sa hiérarchie en état de marche et remis en circulation. Son ministre reconnaît  qu’il a été « inexact et inopportun », mais l’a laissé libre de poursuivre ses méfaits.

Tous deux, ministre et préfet, tentent, bien maladroitement, de réactualiser cette vieille arme spartiate de la « note », qui fut utilisée également avec succès en France il y a quelques siècles. Rousseau, toujours : « L’usage des seconds dans les duels, porté jusqu’à la fureur dans le royaume de France, y fut aboli par ces seuls mots d’un édit du roi : “Quant à ceux qui ont la lâcheté d’appeler des seconds.” Ce jugement, prévenant celui du public, le détermina tout d’un coup. » Traiter de « lâches » ceux qui préféraient laisser des « seconds » prendre le risque de mourir à leur place ne faisait que dire tout haut ce que tous pensaient déjà, sans le dire ou le savoir, et c’est donc moins le pouvoir royal que celui de l’opinion publique qui rendait ce jugement efficace, par son évidence morale.

Se faire traiter de « stupides » par un préfet qui insulte les mourants, et d’« idiots » par un ministre qui explique doctrinalement, à défaut de doctement, que les masques, jusqu’ici présentés comme « inutiles quand on n’est pas malade » par le ministre de la santé, ont cependant été commandés en nombre suffisant de manière à ce que les forces de police en aient « à proximité » et puissent s’en servir en cas de « présomption » de contamination lors d’un contrôle, ne manque pas d’ironie. À quoi peut bien servir un masque, s’il est inutile ? Accessoire de mode, déguisement ? On est en droit de se demander, si on est policier, pourquoi avoir un masque, si c’est pour le garder « à proximité » ? Ne vaudrait-il pas mieux, tout simplement, le porter ? À moins qu’il s’agisse, comme dans la doctrine de l’arme nucléaire, d’un usage dissuasif ? Peut-être que le virus, apercevant un masque « à proximité », va décider sagement de se tenir à distance des policiers sur le point de l’appréhender, et qui sait, de l’attraper ? Que préconise l’OMS ? Ne soyons pas « idiots », les policiers vont, évidemment en fonction de leur « présomption », décider de s’équiper ou pas du masque « à proximité ».

Interrogeons cependant cette idée de « présomption », faisons comme si le ministre était sérieux. Comment un policier pourrait-il, à l’oeil nu, et suivant sa seule intuition, repérer ce qu’aucun médecin n’est capable aujourd’hui, sans le test adéquat, de diagnostiquer, puisque la plupart des malades sont asymptomatiques ? Par ailleurs, ne sommes-nous pas tous actuellement soumis à la « présomption » que nous pourrions être malades, puisque nous sommes tous confinés ? La présomption policière serait-elle plus fine ou mieux équipée que la présomption gouvernementale ? Et pourquoi se contenter d’avoir ce masque « à proximité », s’il peut sauver à la fois la vie d’un fonctionnaire de police et du citoyen qu’il contrôle ? Traduisons : « à proximité » signifie qu’il n’y en a pas assez pour en équiper vraiment la police. Le meilleur moyen d’avoir assez de masques est de ne pas les utiliser, de les garder « à proximité » (et pourquoi pas, « à vue »).

À un journaliste chafouin qui lui demande sans rire si un policier a le droit de demander à quelqu’un qu’il contrôle d’enlever son éventuel masque, le ministre de l’Intérieur répond, sans rire lui non plus, qu’un policier a le droit, en effet, de faire cette demande au cas où il aurait des raisons de douter de la ressemblance entre la photo sur la pièce d’identité et le visage du « personnage » contrôlé. Remarquons, au passage, la justesse étymologique du ministre, qui n’ignore pas que persona, en latin, signifie masque, et la subtile ambivalence du terme dont il use, puisqu’un personnage est traditionnellement sinistre, et mérite bien d’être contrôlé.

On ne voit pas trop, cependant, comment ne pas douter de la ressemblance entre une photo à visage découvert et un « personnage » masqué, et il paraît désormais légitime de laisser les policiers demander à tous les « personnages » qu’ils contrôleront d’enlever leur masque – certes inutile selon la doctrine toujours en vigueur pour quelques heures ou quelque jours encore – pour leur permettre d’exercer leur « présomption » et conséquemment de s’équiper eux-mêmes du masque « à proximité » afin de procéder à un contrôle garanti sans danger a posteriori. Ne faut-il pas être soi-même « idiot » pour ne pas voir qu’un contrôle policier ainsi conçu sera d’abord une excellente source de contamination, et pour se féliciter d’avoir procédé à pas moins de 8 millions de contrôles et 480 000 verbalisations, soit autant d’actes ne respectant pas la « distanciation sociale » pourtant recommandée par le ministère de la santé, lui-même, il est vrai, loin d’être utile depuis qu’on a vraiment besoin de lui ? Et ne faut-il pas être « stupide » pour ne pas voir la « corrélation simple » entre le nombre des contrôles aujourd’hui et le nombre d’admissions en réanimation dans trois semaines ?

Mais comment distribuer justement les épithètes infamantes quand tant de prétendants se bousculent ? Que dire, par exemple, de cette porte-parole du gouvernement, qui va partout répétant que les masques sont non seulement « inutiles », mais que ce sont des produits « techniques » réclamant une compétence qu’elle-même (parmi bien d’autres, on s’en doute) serait bien en peine d’avoir ? Vraiment ? Peut-être les citoyens hongkongais, coréens, taïwanais, qui sont 100% à être équipés de masques, et n’ont pas à subir de confinement, pourraient-ils nous expliquer comment faire, à moins que nous soyons, décidément, trop « idiots » et « stupides » pour apprendre à les porter – même si l’on nous juge, depuis quelques jours, suffisamment habiles pour en fabriquer ?

« Nous sommes en guerre », a dit le chef des armées, même si personne ne nous l’a déclarée. Et en temps de guerre, la vérité est toujours la première à tomber. La vérité est pourtant bien que nous essuyons plus de pertes que lors des dernières guerres où s’est aventurée la France, et si les morts sont là, c’est la preuve que nous sommes en guerre, non ? Au fait, c’était quand, la dernière qu’on a gagnée ?

En temps de guerre, mentir à la population civile est un devoir, et décréter que des biens de première nécessité – comme des masques – sont « inutiles » parce qu’ils n’y en a pas, est un mal nécessaire. Les « recommander », quand on ne peut pas en fournir, est le mieux qu’on puisse faire, en attendant de les rendre obligatoires – s’ils sont un jour disponibles. En temps de guerre, on ne se contredit pas : pas de « revirement », un simple « infléchissement ». On n’avoue pas son ignorance ou son incompétence, on fait preuve de « transparence ». On ne parle pas de vérité, mais de « doctrine ». À la guerre comme à la guerre, tout est question d’étiquetage, comme on dit en théorie de la manipulation. Il s’agit d’être les premiers à qualifier un événement pour le définir. Les Américains ont détourné sur un tarmac chinois une cargaison de masques qui nous était destinée en payant cash et plus cher ? Ils les ont volés. Nous avons fait la même chose en interceptant une cargaison suédoise à destination de l’Espagne et de l’Italie qui faisait escale sur notre sol ? En temps de guerre, on ne commet pas de vols, on procède à des « réquisitions ». En temps de guerre, on dénonce allègrement la légèreté des irresponsables qui cèdent à la tentation d’un rayon de soleil pour échapper quelques minutes de trop au confinement, pour faire oublier qu’on a soi-même, avec une légèreté autrement coupable, affirmé qu’il était sans danger d’aller voter en même temps qu’on fermait les écoles, annihilé les stocks de masques, réduit l’hôpital à faire la charité, et condamné à une mort possible tous ceux qui remplissent réellement leur devoir. 

Alors, même si le ressort de l’honneur n’a plus rien de moderne, même si nous ne disposons plus de sages pour distribuer des avis dignes de ceux des éphores, faisons comme si l’opinion publique avait encore une valeur, et autorisons-nous à en proposer un :

« Par édit public, il est permis aux membres du gouvernement d’être fiers de leur action, au ministre de l’Intérieur d’insulter les vivants, au préfet de police de Paris d’insulter les mourants, à leur porte-parole d’insulter l’intelligence, à tous d’être des vilains, et à Monsieur Macron d’aller promener son chien. »

Paris, le 6 avril 2020

OP

Tribune parue dans L’Obs, à retrouver ici.

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Ollivier Pourriol

Écrivain, philosophe, scénariste
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