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Les libertés publiques en mai 2020 (Éric de Montgolfier)

12 mai 2020
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Posté par Ollivier Pourriol

Entretien avec Éric de Montgolfier sur les libertés publiques en mai 2020

 

Ollivier Pourriol : Bonjour Éric, qu’as-tu pensé de ce confinement sur le plan des libertés publiques ?

Éric de Montgolfier : Peut-être le confinement met, non pas un terme, mais sous le boisseau, une liberté essentielle, celle d’aller et venir. Comme c’est dans un objectif de santé publique, enfin on l’espère, il faut l’accepter. Après, il faut veiller aussi à ce que ça ne devienne pas une habitude. On voit comme c’est facile en définitive de mettre les libertés entre parenthèses. Je crains toujours que ceux qui exercent le pouvoir ne soient tentés de s’en servir au-delà de ce qui est absolument nécessaire. Et puis on a bien vu que ce confinement obéissait à des impératifs un peu divers, en tous les cas ne donnait pas le sentiment toujours d’une grande cohérence. On ne comprend pas toujours pourquoi certaines activités sont restreintes. Est-ce que le fait de mettre tout le monde dehors pour faire du jogging aux mêmes heures était ce qu’il y avait de plus intelligent ? Pourquoi fermer systématiquement les parcs et jardins ? Pourquoi ne pas assurer une police interne aux parcs et jardins, pour faire en sorte qu’on puisse ne pas être entièrement confinés ? Tout ce problème de masques a aussi été une occasion de panique générale. Fallait-il en mettre un ou ne pas en mettre un ? Être masqué, ce n’est pas une atteinte à la liberté. C’est une bonne chose, le masque je suis pour, et je trouve que ceux qui n’en portent pas dans l’espace public paraissent indifférents au sort des autres encore plus qu’au leur, donc cette atteinte à la liberté ne me dérange pas.

OP : Sur la question du masque, il n’y a pas de doute sur son utilité, d’accord. Si ce qui a été affirmé dans un premier temps, c’était son inutilité hors des personnels soignants, on comprenait bien que c’était pour des raisons de pénurie. Mais au-delà de cette question sanitaire, j’ai été choqué par le fait que, dans les transports en commun, les masques soient obligatoires alors qu’il n’était pas facile de s’en fournir, et que par ailleurs ils soient obligatoires mais pas gratuits. Qu’est ce que tu penses de l’association entre obligation, sanction et gratuité ?

EM : Là, ça va au-delà même du problème des libertés publiques, c’est un problème assez général dans notre pays, que ceux qui ont moins d’argent aient moins d’accès aux droits et aux libertés et à l’espace que ceux qui ont de l’argent, ça c’est clair. Aujourd’hui, si on oblige tout le monde à porter un masque, encore faut-il fournir des masques. J’ai vu une image intéressante tout à l’heure au journal télévisé. Dans les gares, on distribue des masques parce que le masque est obligatoire dans les transports, mais en même temps vous voyez se fournir en masques des gens qui en avaient un sur le visage, donc en réalité ça n’obéit plus exactement à la même formule. On veut des masques, tout le monde veut des masques, on est prêt à en prendre quand même on n’en a pas l’usage; ça veut dire qu’on va les prendre à ceux qui pourraient peut-être ne pas en avoir. Il y a un véritable équilibre général de la société à travers ce problème qui est relativement factuel, et symboliquement il est beaucoup plus important, parce qu’effectivement il y a ceux qui pourront et ceux qui ne pourront pas. Avec les moyens dont je dispose, je peux sortir tous les jours avec un masque même si la collectivité ne m’en fournit pas.

OP : Tu aurais soutenu l’amendement qui a été présenté par la France Insoumise sur la gratuité des masques ?

EM : Oui, ça me paraît… au moins en donner à ceux qui ont des ressources insuffisantes et laisser payer ceux qui ont les ressources. Après tout, pourquoi pas ? On demande plus en terme d’impôts à ceux qui ont de l’argent qu’à ceux qui n’en ont pas. On pourrait dire : vous faîtes partie des catégories sociales qui ne sont pas imposables, par exemple, on va vous fournir des masques. La contrainte, on voit bien qu’elle ne pèsera pas de la même manière sur tout le monde. Il faut trouver des solutions, mais la solution où si vous voulez un masque et il est obligatoire, vous devrez le payer, n’est pas une solution équitable.

OP : Qu’est ce que tu penses de cette invention de l’attestation pour le déplacement dérogatoire ?

EM : Curieusement, ce matin je suis sorti mais je n’avais pas vraiment grande nécessité de sortir et j’avais envie de sortir sans attestation. Curieux comme cette absence d’attestation a symbolisé une forme de liberté retrouvée. Le problème de l’attestation, c’est à quoi elle sert, dès lors que c’est celui qui en profite qui doit l’établir ? Une espèce d’ingérence ou de prise illégale d’intérêt absolue, où on se fournit à soi sa propre preuve. Et puis après, le second volet, c’est : qui va contrôler ? Je suis un peu étonné qu’on ait laissé la possibilité aux organes de contrôle, police, gendarmerie éventuellement, établir l’infraction par timbre-amende si j’ai bien compris, puisque je n’ai jamais été contrôlé donc je ne peux pas savoir, mais il m’a semblé que c’était par timbre-amende.

OP : Je ne sais pas, je n’ai pas été contrôlé non plus. J’ai des amis qui ont pris des contraventions, mais qu’ils étaient dans l’impossibilité de régler immédiatement. Un qui était sorti pour faire son jogging, l’autre pour fumer une cigarette. Le premier avait couru un peu trop loin de son domicile et le second avait oublié de faire son attestation, il ne pensait pas que fumer une cigarette cinq minutes devant chez lui l’exposait à un contrôle. Je ne sais pas la manière dont il faut régler cette amende. Qu’est-ce que tu conseilles à ceux qui ont pris une amende qu’ils estimeraient injustifiée ?

EM : Je voudrais revenir un petit peu en arrière sur ce que tu disais. Lorsque est sortie la législation sur les réglementations sur le niqab, le masque musulman intégral, à l’époque il était prévu une contravention aussi, mais en même temps il avait été prévu qu’il ne pouvait pas y avoir de constatation par timbre-amende. En clair, le pouvoir réglementaire ou législatif, c’était un peu confus de ce point de vue là, n’a pas souhaité laisser les mains libres aux agents chargés de la constatation. Ils constataient, c’est ensuite que l’autorité judiciaire appréciait la suite qui devait être réservée à cette constatation. Aujourd’hui on n’en est plus là. Avec ce qui a été établi, et ce n’est pas fini, puisque les attestations ont été partiellement levées mais elles subsistent : si l’on franchit 101 km en sortant de son département de domicile, on va devoir en répondre. Qui va apprécier ? Toujours les mêmes agents. Est-ce qu’on peut tabler sur un système aussi imprécis ? La législation, pour être appliquée, doit être claire. Chacun doit savoir ce qui lui est permis, ce qui lui est interdit. Normalement, il ne devrait pas y avoir de grande marge d’appréciation. Or, précisément, c’est ce qui se passe avec ces attestations, puisque l’un va être plutôt bonhomme et dire : « bon, vous devriez pas… », quitte à se tromper, et l’autre dira : « non, vous ne pouvez pas ». Je crois même qu’on a dit à certains : « rentrez chez vous ». Non, je ne crois pas que ce soit possible. L’agent de constatation constate, c’est tout. Il peut y avoir des excès, il y a eu des excès. Chacun l’a vu, on a tous connu des exemples qui laissent penser que l’intelligence aussi s’était confinée. Il y a une solution, c’est d’aller devant le juge, à condition de ne pas avoir payé l’amende, puisque le paiement de l’amende, en droit français, implique qu’on la reconnaît, qu’on reconnaît l’infraction, donc elle ne sera plus contestable. Pour ceux qui n’auraient pas payé et qui la contestent, la possibilité est encore d’aller devant le juge, et là, j’espère que le juge fera bonne mesure. C’est une situation assez particulière et la répression ne peut pas s’abattre comme un fléau qui n’aurait pas de tête. Donc il faudra réfléchir à chaque situation. Je sais que si j’avais moi-même été contrôlé et trouvé ça injuste, j’aurais choisi non pas de payer mais d’aller devant le juge pour lui demander d’appréhender avec le plus d’intelligence et de compréhension possible la situation qui lui serait soumise.

OP : Il me semble que le sénat a voté un amendement pour exonérer les maires de toute responsabilité sur le plan pénal, au cas où quelqu’un leur reprocherait une décision qui aurait impliqué une contamination par le virus. Édouard Philippe, pour sa part, s’y est opposé, il a refusé d’exonérer les maires de leurs responsabilité parce qu’il disait qu’à ce moment-là, il n’y avait pas de raison de ne pas exonérer les responsables au-dessus, et il a estimé que ce n’était pas le moment de s’exonérer par avance d’éventuelles poursuites pénales. Qu’est-ce que tu en penses ?

EM : Politiquement, c’est assez pitoyable, cette volonté des maires de vouloir s’exonérer de leurs responsabilités. Il y a aussi une solution : on démissionne, si on n’est pas de taille à supporter la responsabilité qui nous incombe. Il faut se méfier de ces problèmes de responsabilité. Il y a quelques années, je fais une réunion dans une école de ma circonscription – ce n’était pas à Nice, mais peu importe -, je me souviens du directeur de l’école qui disait que bon, il y avait une porte qui ouvrait directement sur la rue et qu’il craignait que les enfants échappent à la surveillance des maîtres, qu’ils s’échappent sur la rue et que l’un soit happé par une voiture. Il a dit : « Pour m’exonérer de ma responsabilité, j’ai écrit à l’inspection d’académie pour leur signaler la situation. » Ce à quoi j’ai répondu : « Tant mieux, s’il y a un accident du type de celui que vous évoquez, je saurai où trouver la preuve de votre responsabilité. » Il ne s’agit pas de dire : il y a un risque et je m’en affranchis avec une loi qui va dire que je ne suis pas responsable. Ce qu’il faut, c’est faire en sorte de ne pas courir le risque. Mais je trouve que le débat est un peu sordide aujourd’hui, je n’arrive pas à comprendre ces maires qui voudraient échapper à une responsabilité que personne n’a encore soulevée, outre que ça traduit à l’égard du juge une méfiance quand même importante. Est-ce que le juge n’aura pas la capacité de voir que ça n’est pas un problème de responsabilité ? Ça n’est pas parce qu’on accepte le risque, qu’on encourt une responsabilité. Si c’est ainsi, il faut bien admettre que celui qui se présente à une élection et revendique une responsabilité revendique nécessairement les risques qui y sont attachés. C’est à cela qu’on veut échapper ? Alors c’est sans doute à la démocratie que l’on veut échapper.

OP : On peut comprendre tout de même les maires qui sont sensibles au fait qu’il y a déjà une soixantaine de plaintes au pénal contre le ministre de la santé en exercice, contre celle qui l’a précédé, contre le premier ministre, contre des ministres en exercice, et il est probable que les maires n’ont pas envie de voir s’appliquer à eux cette même colère citoyenne.

EM : Cela dit, on a voté l’immunité du président de la république. Pourquoi ne pas voter l’immunité des maires ? Il y aurait une certaine cohérence dans le système. Mais comme je suis plutôt hostile à l’immunité du président de la république, je ne vais pas être favorable à l’immunité des maires. Maintenant, comment peut-on se protéger contre l’excès de droit ? Je crois que l’on devrait clairement dire non pas que les maires sont irresponsables, mais que la mise en cause manifestement aventurée de leur responsabilité constitue une infraction particulière, au même titre que la dénonciation calomnieuse. On peut, avec le droit, et si l’on joue avec le droit, obtenir, prétendre obtenir réparation.

OP : Sans parler de ceux qui jouent avec le droit, que penses-tu de ces médecins qui se sont réunis pour mettre en cause l’exécutif sur le délitement de l’hôpital, à propos duquel pourtant tous ces médecins préviennent depuis des mois voire depuis des années, est-ce qu’on ne peut pas considérer comme légitime ce passage au plan du droit et du pénal ? Je pense que c’est moins pour obtenir réparation que pour marquer le coup des responsabilités et pour reconstruire un hôpital avec des vraies capacités.

EM : Ça, c’est un débat politique, ce n’est pas un débat pénal. Si les médecins en corps, ou partie de corps, disent : « Vous voyez, c’était la meilleure preuve que les moyens n’étaient pas suffisants. » Bon, qu’ils le disent, qu’ils le crient, c’est parfaitement leur droit et ça peut être même leur devoir. Mais ce ne sont pas les médecins, sauf s’ils sont blessés eux-mêmes, qui peuvent se plaindre d’une faute ; ce sont les personnes qui n’auraient pas pu être soignées.

OP : C’est le cas des médecins et des soignants qui, parce qu’ils n’ont pas été en mesure d’être protégés de leurs patients ou de protéger leurs patients, se sont retrouvés à être à la fois contaminés – certains sont morts – et contaminants.

EM : Oui mais c’est une question d’espèce, ce n’est pas une question générale. Que l’hôpital ait perdu beaucoup de ses moyens, oui, on le sait bien. Qu’on ait fermé des maternités, qu’on ait fermé des lits en quantité pour rentabiliser l’hôpital, oui on le sait. C’est un problème politique, et ça se résout dans les urnes. Maintenant, si quelqu’un, à titre personnel, est victime de cette insuffisance voulue, eh bien oui, il pourra demander des comptes à celui qui en serait responsable. Après, ce sera plus difficile de trouver le responsable. Parce que c’est toujours un combat politique.

OP : On l’a évoqué déjà avec la question des attestations, de la constatation des infractions, est-ce que tu as le sentiment que la police a été mise dans une situation particulière avec ces attestations ?

EM : Je trouve qu’on a exposé au-delà du raisonnable les policiers et les gendarmes chargés de constater. Ou ils faisaient preuve de bienveillance, de compréhension, d’intelligence, et ils pouvaient se le voir reprocher, par ceux qui autour n’auraient pas compris. Chacun a vu que des infirmiers, des infirmières, des soignants se faisaient menacer parce qu’ils risquaient d’apporter dans leur immeuble l’infection. Je trouve difficile le rôle d’un policier ou d’un gendarme dans ce cas-là, parce que la période est compliquée, parce qu’on peut avoir affaire à des gens qui se moquent des autres. Ceux-là, qu’on les sanctionne, ça ne me dérange pas trop. On peut avoir affaire à des gens qui ont oublié leur attestation, fait objectif, qui justifie la constatation. On peut avoir affaire à des gens un peu négligents, ou un peu tête en l’air, des gens âgés, ou des gens pressés par le besoin de rassurer leurs proches. Je pense à cette dame âgée qui avait, par la fenêtre, sans y pénétrer, voulu parler à son conjoint dans un Ehpad, qu’on avait prétendu, dans un premier temps, sanctionner. Franchement, c’était détestable. Maintenant que se passe-t-il si quelqu’un fait cela, et puis autour des gens un peu paniqués par le virus se plaignent aux policiers qui ne l’auraient pas constaté ? Il y a de tout, on a un peu tout vu dans cette période compliquée. Alors est-ce que les policiers sont à même de constater ce qui n’est pas seulement objectif ? Je trouve ça très douloureux pour l’image que je me fais de notre société que l’on ait absolument voulu sanctionner pénalement ces comportements. C’est très étonnant de voir que notre propre pays, qui est paraît-il celui des droits de l’homme, en soit réduit à cela, qu’il n’y ait aucun discours qui puisse convaincre suffisamment nos concitoyens sans avoir besoin d’utiliser la menace de la répression, pour les conduire à parvenir à un comportement acceptable pour tous. Je ne cesse de penser en ce moment à ce qui s’est passé en matière de tabagisme. Dans les premiers temps, il y a eu un texte qui réprimait l’usage du tabac dans les lieux public. Il y avait une réunion, j’étais au ministère à l’époque, au cours de cette réunion certains tenaient pour une répression pénale, d’autres disaient : oui c’est vrai que c’est un problème de santé publique mais faut-il qu’il se traduise par des pénalités, avec possibilité d’aller devant le juge ? Ceux-ci ont été minoritaires, mais en même temps le texte n’a quasiment pas été appliqué. Et aujourd’hui le résultat, on le connaît, c’est que progressivement l’interdiction du tabac dans les lieux publics, et plus encore le respect par les fumeurs de ceux qui ne fumaient pas, qui ne supportaient pas le tabac, est installé. La loi, c’est une extrémité – la loi pénale, s’entend -, c’est une extrémité. On peut très bien interdire quelque chose sans pénaliser le comportement. Ce qui me gêne un petit peu dans cet épisode de notre vie publique, c’est qu’on ait recours si souvent à la pénalité pour asseoir ce qui est bon pour tous. On aurait pu prendre des textes pour dire : voilà, il vaut mieux éviter de sortir, il faut rester chez soi, il faut se couvrir d’un masque. Alors que là, si vous ne le faîtes pas, vous n’êtes pas seulement un mauvais citoyen, vous êtes un fraudeur, vous êtes quelqu’un qu’il faut punir… Ce recours permanent à la pénalisation des comportements est une faiblesse très caractéristique de notre société aujourd’hui.

OP : Juste avant l’arrivée de ce virus, pendant plusieurs mois il y a eu, tous les samedis, des manifestations de gilets jaunes, et les mois qui ont précédé, on a beaucoup entendu et vu, via les réseaux sociaux surtout, des exemples de violences policières. Tu as un diagnostic sur ce qui s’est passé et sur ce qui peut se passer encore ? Un diagnostic et un pronostic ?

EM : On peut être moins troublé par les violences policières que par tous ceux qui prétendent les justifier. Que le ministre de l’intérieur, qui est le ministre de la police, croie devoir constamment minimiser les violences qui sont commises par ses services, hélas, c’est une vieille lune. On l’a souvent vu, à droite comme à gauche, toujours avec ce sentiment que le ministre était prisonnier de ses troupes. Il est prisonnier des syndicats qui font une pression, souvent – pas tous, Dieu merci ! -, souvent une pression importante pour nous expliquer que leur contribution à la sécurité publique justifierait absolument notre cécité devant les exactions qui peuvent être commises à cette occasion. C’est inadmissible. On parle de violence légitime ou illégitime. Déjà, violence légitime, c’est un foutu paradoxe. Je crois que ce qui m’a le plus troublé de toute cette période, c’est d’entendre un philosophe venir nous expliquer sur un plateau de télévision que non, tout ça était parfaitement normal. Oui, je crois que la dégradation des mœurs se mesure à ce type d’intervention. Quand les tenants de la culture, ceux qui devraient être ses premiers défenseurs, viennent nous expliquer que, après tout, il est normal que la police soit violente. Je peux comprendre que des policiers, des gendarmes, des hommes ou des femmes, fassent preuve de violence dans des situations difficiles – c’est la nature humaine -, mais de là à dire que c’est légitime, c’est un pas que nous avons tort de franchir. On a toujours tort de franchir le pas qui aliène les libertés. Toujours.

OP : Le philosophe Alain disait que la légitimité qu’on donnait aux forces de l’ordre pour agir contre des citoyens, c’était une précaution que les citoyens prenaient contre eux-mêmes, en dressant contre eux-mêmes un mur bleu. Il voulait dire par là qu’il n’attendait pas des forces de l’ordre qu’elles soient autonomes dans leurs décisions, et qu’elles ne tenaient leur légitimité que de ceux qui les avait mandatées, c’est-à-dire le peuple lui-même. Est-ce que tu as le sentiment qu’il faudrait aujourd’hui protéger les forces de l’ordre d’elles-mêmes, d’une tendance inévitable, liée la nature humaine plus qu’à la nature policière, à l’usage excessif de la force, du moment qu’on a le sentiment d’en avoir le droit ?

EM : Le sujet nous ramène constamment aux relations que l’on a, quand on le détient, avec le pouvoir. Immanquablement vient un moment où le pouvoir dont nous disposons peut nous conduire à nous en servir non pas en faveur de la mission que nous avons reçue mais contre elle. C’est vrai pour la police, oui, nécessairement, je crois qu’il y a toujours un risque à confier le pouvoir à quelqu’un. On doit bien mesurer à qui on le confie. Si on le confie à l’intelligence, le problème n’existe pas. Il y aura la tentation, mais l’intelligence y pourvoira. Si on confie le pouvoir à la bêtise, alors on est sûr des excès.

OP : Ce sera ta conclusion ? Il y a une morale à tirer de ces semaines avec attestation ?

EM : Non, c’est un épisode un peu court de la vie sociale pour qu’on en tire des morales. J’avoue que j’ai été un peu exaspéré par les commentaires quotidiens créant moins de sûreté que de panique. Ce fut le temps de la logorrhée et c’était bien dommage. Je crois qu’on pouvait rester un bon citoyen et couper le son, bien souvent c’était inutile. On a enrichi quelques personnes. Je ne sais pas ce que le recul nous permettra de tirer de cette période quand elle sera terminée. Peut-être une exigence trop élevée à l’égard de ceux qui nous dirigent. Sans vouloir excuser personne, en tout cas certainement pas avec un esprit partisan, je me dis parfois que les critiques étaient un peu sévères. Comme s’il avait été possible de tout prévoir… Curieux comme la nature paraît vouloir prendre le dessus. C’était étonnant, ces rues désertées par les habitants de nos villes mais un peu occupées par les animaux réputés sauvages. Curieux. Ça aussi, c’est un motif de réflexion. Là où l’homme laisse la place, parfois la nature l’occupe. Alors, quelle sera la nature ce qui nous attend demain, je n’en sais rien.

OP : C’est peut-être un bon signe politique quand on ne souhaiterait pas la place de ceux qui ont du pouvoir, parce qu’on voit bien qu’ils sont plus dans une forme d’impuissance que de plein exercice, et en même temps, est-ce que quand on est à la fois dans une situation d’impuissance et de pouvoir, ce qui est paradoxal, est-ce qu’on n’a pas intérêt à dire la vérité ? J’ai le sentiment qu’il y a une défiance maximale en ce moment sur la parole gouvernementale pour cette raison précise, c’est qu’il n’y a pas eu le courage de dire l’impuissance.

EM : Dire « en ce moment », c’est vraiment faire preuve d’un optimisme béat, parce qu’il y a bien bien longtemps que ceux qui ont conquis le pouvoir l’occupent par le mensonge. Il n’y a pas si longtemps, nous étions au temps de l’arrogance et on pouvait supposer que l’épidémie nous conduirait à celui de l’humilité. Je ne suis pas certain qu’on se soit complètement échappés de l’arrogance. Dans tous les cas, je suis certain qu’on n’est pas encore entrés dans le règne de l’humilité. C’est bien ce qui nous manque le plus.

OP : Tu serais favorable à une mesure d’amnistie pour les infracteurs du temps de l’attestation ?

EM : Ça peut être l’amnistie. Et ça peut être, pour ceux qui iraient devant le juge, un appel à l’intelligence du juge. Il y a des moments où, étant à la retraite, j’ai quelques regrets de ne pas avoir accepté la proposition qui me fut faite au moment de la prendre, de devenir juge de proximité. C’est sans doute devant moi qu’il serait venu un certain nombre de contentieux de ce type, et je crois que j’aurais fait preuve d’une certaine ouverture d’esprit. Je crois que le juge doit comprendre, pas seulement la situation étroite qu’on lui propose, mais la rétablir dans un ensemble. Cette attestation, je ne sais pas ce qu’elle signait de notre société. C’est une curiosité qu’il m’ait fallu, une fois par semaine, quand j’étais décidé à sortir, remplir moi-même ce laisser-passer, dire qui j’étais, répéter ma date de naissance, à chaque fois mettre une heure, puis sortir. Je ne comprends pas trop à quoi on a joué, qui ça a rassuré. Je pense que ça a rassuré les gouvernants beaucoup plus que les gouvernés.

OP : Donc tu en appelles à la clémence de tes collègues juges qui pourraient voir arriver devant eux des réclamations ?

EM : Oh non, surtout pas ! Je ne voudrais pas les contrarier, donc je n’en appelle surtout pas à leur clémence. J’espère en leur clémence.

OP : Quand on a demandé au gouvernement comment serait appliquée la mesure interdisant de s’éloigner de plus de 100 km de son domicile, les services du premier ministre ont répondu que c’était laissé à l’appréciation des forces de l’ordre, qui sauraient faire preuve « de la rigueur et de l’humanité » nécessaires. Qu’en dis-tu ?

EM : Qu’ils fassent preuve d’humanité, ça suffira.

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