À Minneapolis, la semaine dernière, c’est une fille de 17 ans qui a filmé les quatre policiers qui ont tué George Floyd. 17 ans ! Je ne sais pas ce que vous faisiez à cet âge-là, moi je révisais mon bac devant la télé, je lisais Albert Camus devant Roland Garros, ou dans les coquelicots…
Depuis cette vidéo, les États-Unis sont en feu, énormes manifs, émeutes, pillages, Trump qui veut envoyer l’armée, le Pentagone qui dit non, c’est le chaos.
Eh bien, le gouverneur du Minnesota, qui est pourtant en charge de l’ordre public, l’a remerciée, cette jeune fille. Il a même dit : « On ne peut pas s’empêcher de penser à toutes les fois où il n’y a pas de caméra. »
Le monde entier se scandalise. Pendant ce temps, en France, le préfet Lallement se contente d’essayer d’interdire une manifestation contre les violences policières. Attention, c’était pour notre bien. Et les lacrymos, c’est un nouveau traitement, pour nous protéger du virus. Il plaisante pas avec notre santé, Lallement.
Résultat, un truc de malade, comme on dit. Plus de 20 000 personnes devant le palais de justice, du jamais vu.
Vous vous souvenez, au mois de novembre dernier, le même préfet avait dit à une femme en gilet jaune : « Nous ne sommes pas dans le même camp, madame. »
Eh bien le chef de la police de New York, le plus haut gradé en uniforme, qui a lui aussi une très belle casquette, a fraternisé il y a deux jours avec des manifestants pour empêcher les débordements, il leur a dit : « Ici, c’est chez nous, c’est notre ville, nous ne pouvons pas nous battre, c’est notre maison. » Et il a mis un genou à terre en leur tenant la main. Il leur a parlé, il leur a montré qu’ils étaient dans le même camp.
Parce que, quand on y réfléchit, il n’y en a qu’un. En grec, la polis c’est la cité, ça a donné le mot « politique », c’est ce qu’on fait ensemble de notre maison.
Pendant ce temps, en France, le député Ciotti, des Alpes-Maritimes, propose à l’Assemblée de voter une loi pour empêcher de filmer les forces de l’ordre, il veut punir les contrevenants de 15 000 euros d’amende et d’un an de prison. C’est un ami de la répression, Ciotti, il l’a toujours dit, il ne veut pas d’une police de Bisounours.
La fille qui a filmé le meurtre de George Floyd, lui il l’aurait pas remerciée, il l’aurait foutue en taule, et mise sur la paille par la même occasion. Pour lui apprendre ce qu’il en coûte de mettre en danger la police.
Il a raison, sur le fond. Il faut protéger la police – mais d’elle-même, et nous protéger d’elle, par la même occasion. Protéger le faible du fort, ça sert à ça, la politique. C’est ça, la mission. Et mettre un genou à terre, enlever sa casquette, discuter, laisser tomber les menaces ridicules, ce n’est pas renoncer à la mission, au contraire, c’est malin, c’est humain, c’est inviter les autres à une bonne réciprocité, c’est faire un monde commun, où on se tient en respect. Où on se tient tout court.
Dans Le Premier Homme, Albert Camus écrit : « Un homme, ça s’empêche. Voilà ce que c’est un homme, ou sinon… » Il ne finit pas sa phrase. Ou sinon… sinon on n’est pas un homme, on est vraiment le dernier des derniers.
Le seul critère d’humanité qui vaille, finalement, c’est ça : si tu as envie d’abuser de ta force, empêche-toi.
Et si tu n’en es pas capable, tu peux toujours compter sur une fille de 17 ans, avec son téléphone, pour te prouver que ta casquette est trop grande pour toi.
La chronique est ici, à la minute 37:
Pour lire la tribune d’Eric de Montgolfier sur la proposition de loi Ciotti et la dissimulation de preuves, cliquez ici.
Laisser un Commentaire