Un Pays qui se tient sage, de David Dufresne
“Un Pays qui se tient sage” met le doigt sur une inversion majeure : là où les manifestants étaient, jusqu’à récemment, traités comme une foule anonyme à canaliser, éventuellement à repousser par l’utilisation de procédés ne visant personne en particulier (gaz lacrymogène, canon à eau), ils sont depuis quelques années visés comme individus (coups de matraque, tirs LBD ou Flash Ball) ; dans le même temps, on constate une anonymisation croissante des forces de l’ordre : plaques d’immatriculation masquées, numéros d’identification obligatoire (RIO) absents, cagoules, vêtements et casques civils, qui donnent à la fois le sentiment de ne plus avoir affaire à personne, et que les violences policières, loin de se réduire à des fautes professionnelles individuelles regrettables, relèvent d’une démarche systémique et orchestrée. En un mot : politique.
La scène la plus incroyable n’est d’ailleurs pas une scène d’affrontement de rue, mais une rencontre au fort de Brégançon entre les présidents Macron et Poutine, une conférence de presse où le Russe se fout ouvertement de la gueule du Français, en disant son inquiétude de voir un jour dans les rues de Moscou le même chaos qu’à Paris. Aucun risque de voir ça à Moscou, en effet, puisque les manifestations y sont tuées dans l’œuf par des arrestations préventives. « Comparaison ne vaut pas raison », se défend Macron, fort embarrassé face à son interlocuteur matois. Reste que si le « pays des Lumières et des droits de l’homme » prend trop de libertés avec les droits de ses citoyens, il est à craindre que sa vocation universaliste produise de curieux effets pervers.
Et c’est pourquoi, dans la guerre des images qui fait rage aujourd’hui, ce film fait figure d’arme lourde. Pour reprendre, en l’adaptant, un mot de Sacha Guitry (il parlait des femmes…), ce film n’est pas contre la police, il est tout contre. Tout en rappelant que la police est devenue nationale sous Vichy, il regrette l’origine locale du mot (polis : la cité), et revient à l’idéal posé en 1789 d’une force publique digne de ce nom, qui défende le public plutôt que l’État. Facile à dire, mais dire est le prélude à toute action, et ces questions de définition et de vocabulaire sont essentielles pour un débat de qualité. Si l’on emploie le mot « violence » quand on parle de manifestants, commente Fabien Jobard, que nous reste-t-il pour parler du massacre du Bataclan ? Peut-être la violence n’est-elle légitime que quand elle mérite le nom de force publique. Et peut-être que les forces de l’ordre seraient mieux nommées forces de la liberté.
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