La vérité sur Socrate
Présentation
Découvrez le portrait d’un homme complexe : Socrate. Lors d’un banquet secret, amis et disciples racontent leur Socrate.
Athènes, 396 avant J.-C.
Trois ans après la condamnation à mort de Socrate, ses disciples les plus proches reçoivent une mystérieuse pièce en guise d’invitation à un banquet clandestin.
Qui les a invités ? Dans quel but ? Socrate est-il bien mort ?
C’est l’occasion pour eux d’essayer d’établir la vérité sur celui qui fut leur ami, leur maître, et le père de la philosophie.
Voir des extraits sur le site des Arènes
Avant-propos
De Socrate, nous savons que nous ne savons rien, ou presque.
Nous savons qu’il est né à Athènes, en 470 av. J.-C., qu’il y est mort en 399 av. J.-C., à l’âge de 70 ans, condamné à boire la ciguë par le tribunal de l’Héliée. Nous savons qu’il était accusé d’impiété par trois de ses concitoyens, Mélétos, Lycon et Anytos, et que l’acte d’accusation consistait en trois griefs : le non-respect des dieux de la Cité, l’introduction de nouveaux dieux et la corruption de la jeunesse.
Nous savons que le tribunal l’a reconnu coupable, puis, ayant à choisir entre la peine proposée par l’accusation et celle proposée par l’accusé, l’a condamné à mort.
Tout le reste, nous le tenons de Platon, Xénophon et Aristophane. Aristophane, poète comique, auteur d’une pièce cruelle, Les Nuées (423 av. J.-C.), où l’on voit un Socrate impie et immoraliste. Xénophon, guerrier et philosophe, auteur de plusieurs dialogues qui mettent en scène un Socrate bienveillant, bon vivant et pragmatique. Et surtout Platon, auteur des célèbres Dialogues, parmi lesquels Le Banquet, La République, Gorgias, l’Apologie de Socrate ou Phédon…
D’autres disciples ont écrit, et pas des moindres, des créateurs d’écoles, comme Antisthène, Eschine ou Aristippe, mais leurs œuvres ont disparu. Des ennemis aussi, comme Polycrate, qui a publié une Accusation contre Socrate quelques années après son exécution.
Mais Platon est le seul qu’on étudie en philosophie en terminale. Et la plupart du temps, tout ce qu’on croit savoir de Socrate, on le doit à Platon, au point de confondre les deux.
Cette bande dessinée fait le pari de faire entendre d’autres voix que celle de Platon, et de nous transporter au moment où, trois ans après sa mort, Socrate n’est pas encore devenu pour ses amis et disciples un projet littéraire ou un objet philosophique. Son souvenir est encore vif, comme la dispute autour du sens de sa vie et de sa mort.
L’histoire que vous allez lire est donc fictive, mais elle repose sur des hypothèses élaborées en tenant compte de toutes les sources disponibles et de nombreux travaux de recherche, tant historiques que philosophiques, indiqués en bibliographie.
Le plus mystérieux dans cette histoire, comme le disait André Portafax, mon professeur de philosophie en terminale, c’est comment Socrate, un homme âgé de plus de 60 ans, sans argent ni pouvoir, a pu changer la vie de Platon, un jeune aristocrate riche destiné aux honneurs et à la politique. Que pouvaient-ils bien avoir à se dire, eux qui n’avaient rien en commun ? Et les autres, tous les autres, comment a-t-il fait pour changer leur vie ? Qu’avait-il de si spécial ?
Ce mystère, c’est celui de la philosophie.
Socrate avait une femme, des enfants, des amis, des disciples. Mais d’un philosophe, il n’y a rien à attendre en matière d’héritage. Pas d’argent, pas de bijoux, pas de propriété au bord de la mer. Pas d’assurance-vie. Rien que des questions. Ou plutôt, une question, la seule qui vaille : celle de la justice.
Socrate n’attend donc ni qu’on le lise, il n’a rien écrit ; ni qu’on le suive, il n’a rien demandé. Socrate n’attend rien de nous, sa vie elle-même reste une question, et c’est pourquoi, aujourd’hui comme hier, comme demain, il mérite toute notre attention.
― Ollivier Pourriol
Entretien avec Philosophie Magazine
Q : Pourquoi avoir choisi de consacrer votre bande dessinée à Socrate ?
Ollivier Pourriol : C’est d’abord une passion personnelle. Il y a un mystère autour de ce personnage qui n’a rien écrit mais a changé la vie de tellement de monde. Et puis, je suis intéressé par l’idéal d’un philosophe dont les idées seraient en accord total avec ses actes. Cet idéal, Socrate l’a payé de sa propre vie. On n’attend pas d’un professeur de philosophie aujourd’hui qu’il soit prêt à mourir pour la vérité ou pour son idée de la justice.
Q : Est-ce que ce livre est destiné à un public particulier ? Les novices en philosophie peuvent-ils s’en emparer ?
Absolument, puisque le livre est une fiction – ce n’est pas un cours de philosophie. J’ai voulu imaginer l’expérience de la rencontre avec quelqu’un comme Socrate. On le montre au moment où il n’était pas encore devenu un objet littéraire. Platon ou Xénophon n’avaient pas encore écrit sur lui ; le seul qui l’avait fait, et du vivant de Socrate, c’était Aristophane. Et puisque Socrate n’a rien écrit, on le découvre à travers ceux qui témoignent de l’homme qu’il était, ses proches, sa famille, ses amis.
Q : Il s’agit d’une fiction, mais les faits racontés s’appuient sur la vérité. Comment s’est organisé votre travail de recherche ?
La difficulté, c’est que les seules choses que l’on sait sur Socrate, ce sont sa date de naissance, de mort, le fait qu’il a participé à trois campagnes militaires et celui qu’il a été condamné à mort. À partir de ces quelques éléments, j’ai voulu construire une fiction vraisemblable : je me suis appuyé sur les dialogues de Platon, de Xénophon, mais aussi sur des travaux universitaires et des entretiens avec des personnes qui connaissent très bien le sujet. On entend souvent que Socrate s’est suicidé, qu’il n’aimait pas la vie, or c’est faux. D’abord, il a été condamné à mort – il a quand même une femme, trois enfants, il ne part pas de gaieté de coeur. En comparant les sources, on se rend compte, par exemple, que son fils aîné n’est pas venu le saluer avant sa mort, tel un adolescent en colère. J’ai voulu parler de ces personnages qu’on n’évoque jamais.
Q : Avez-vous remarqué des choses surprenantes, ou des contradictions, au gré de vos recherches ?
Ce sont moins des contradictions que des choses qui sont présentes mais qu’on n’approfondit pas. On sait que Socrate a participé auxdites campagnes militaires [c’était un fantassin, un hoplite] pendant la guerre du Péloponnèse. On le sait, mais on en tire rarement les conséquences : il a tué des gens, il a côtoyé la peste ou le choléra, la famine, et même le cannibalisme, dans la ville assiégée de Potidée. Il a déjà fait cinq ans de guerre lorsque Platon nous le montre en train de soutenir qu’il vaut mieux subir l’injustice que la commettre : il sait probablement de quoi il parle. Sans ce contexte de la guerre du Péloponnèse, ses affirmations éthiques pourraient paraître faciles. Chacun de ses actes est traversé par une inquiétude éthique. Cette bande dessinée, c’est l’histoire d’un homme qui, à force de chercher la justice, va se faire des ennemis, et va en mourir.
Q : Vous êtes aussi attaché au cinéma, puisque vous avez collaboré aux scénarios de plusieurs films et avez même réalisé un court métrage. Est-ce plus difficile de présenter des idées philosophiques par l’image ?
J’ai cherché un dessinateur, Éric Stalner, qui sache donner de la profondeur humaine à des personnages souvent perçus comme théoriques. Socrate est un philosophe mais ce n’est pas un être abstrait. Il parle de justice, mais aussi de désir, de beauté, d’amitié. La bande dessinée nous a justement aidés à incarner les personnages et à les montrer vivants, se disputant. Il s’agissait aussi de rectifier des clichés. Par exemple, Socrate est présenté comme pauvre, ce qui n’est pas totalement vrai. S’il n’a jamais consenti à vendre ses cours pour de l’argent, il peut néanmoins se payer une maison qui est loin d’être misérable, et une panoplie de hoplite nécessaire pour faire la guerre. Sa pauvreté est relative, et choisie, c’est une affirmation éthique – il refuse de recevoir de l’argent en échange de ses leçons pour rester libre de choisir à qui il parle. Et c’est aussi pour ça qu’il est mort, on lui a fait payer le fait de ne pas se laisser payer, et d’avoir ainsi du pouvoir sur ses interlocuteurs. Le plus remarquable, c’est que la vie de Socrate se résume à une question : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour être justes ? Tout le reste, c’est du bavardage.
Q : Les images réalisent une partie du travail d’imagination que l’on fait avec un roman, par exemple. Est-ce que vous pensez que l’illustration permet, contre-intuitivement, de mieux se concentrer sur le texte, sur les idées ?
Les images nourrissent les idées. On a été aussi précis que possible sur l’iconographie : nous nous sommes appuyés sur les travaux magnifiques de François Lissarrague consacrés aux banquets, nous sommes allés à Athènes repérer des lieux, des objets. Lorsque les Athéniens se réunissaient pour boire, il y a des bateaux, des dauphins sur leurs coupes. Parce que boire, c’est s’embarquer dans une aventure. Quand Homère dit que la mer a la couleur du vin, on a pris ça au sérieux – on a fait une séquence de tempête où la mer a la couleur du vin. Il ne s’agit pas de tuer l’imaginaire, mais au contraire de le stimuler. Le pari, c’était de faire sentir ce que ça pouvait faire de rencontrer Socrate, d’être face à lui et de croiser son fameux regard « de taureau », qui faisait rougir le bel Alcibiade et fuir les ennemis sur le champ de bataille. Ce livre est moins une biographie qu’une expérience humaine et philosophique.
Retrouvez l’entretien ici.
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